Capital humain dans la sécurité privée

Un terme trop à la mode ?

Il est, en tout cas, beaucoup utilisé par les entreprises mais qu’en font-elles ?

Elles sont nombreuses à communiquer (et se contentent parfois de ça d'ailleurs) sur ce fameux capital humain. Cette tendance s’étend depuis peu à la profession de la sécurité privée.

Cette expression a, semble-t-il, remplacé les "ressources humaines ». Est-ce pour éviter la notion de ressource exploitable ?

Encore faut-il savoir de quoi on parle et ce que l'on met derrière ce terme en vogue.

Les DRH ou directions marketing actuelles n'ont rien inventé. Le concept est développé en 1961 par Theodore Schultz, économiste américain et a fait l'objet de travaux récompensés par un prix Nobel d'économie en 1992 décerné à Gary Becker, autre économiste américain.

Au début des années 2000, le capital humain est défini comme un ensemble « de connaissances, de qualifications, de compétences et de caractéristiques individuelles qui facilitent la création de bien-être personnel, social et économique. » Source : Wikipedia.

En termes simples, le capital humain désigne les aptitudes et les talents qui rendent les individus productifs. La notion individuelle est à noter.

Le terme « capital » est-il bien plus pertinent que « ressource » dans notre société où le capitalisme est tant décrié pour la domination exclusive qu'il impose aux hommes et considéré comme un modèle insoutenable à transformer radicalement pour un monde plus juste ?

Pas si sûr.

Définitions du capital, intéressantes à se rappeler :

  • "Patrimoine possédé par un individu, une famille ou une entreprise et pouvant rapporter un revenu." Larousse
  • "Le capital est une somme d'investissements utilisée pour en tirer un profit". Wikipédia

Je n'ai rien trouvé de plus humaniste, dans aucune source. Pourtant dans « capital humain », il y a humain ! 

L’erreur serait de ne faire du capital humain qu’un moyen malléable, corvéable, tout comme les ressources naturelles que l’on extrait et transforme, de ne le considérer "que" comme un rouage économique.

Il serait dommage que les entreprises qui se réclament de ce capital humain donnent à penser qu’en réalité… elles n’en ont rien à faire ! qu’elles n’en fassent qu’un slogan régulièrement entaché d’incohérences.

Une façon d’appliquer le concept est d’assimiler l’individu à son capital humain, ce qui conduit à le considérer concrètement comme un bien qu’il faut gérer, comme tout autre bien appartenant à l’entreprise.

Les dirigeants peuvent être tentés de s'approprier le capital humain comme leur richesse ou leur actif, surtout dans les services comme la sécurité privée où il constitue l’essentiel du compte d’exploitation mais en réalité il ne peut leur appartenir, il est juste mis à leur disposition par les individus qui en sont, eux, propriétaires. Il ne faut pas l'oublier.

Pour poursuivre l'analogie avec les notions financières, on peut même considérer que ce n'est pas l'entreprise qui investit dans son capital humain mais plutôt les individus (en étudiant et se formant) et qu'ils cherchent naturellement à en tirer un juste retour sur investissement en louant leurs compétences à l'entreprise.

Si le capital humain est le bien le plus précieux il faut donc veiller à gérer les risques et à le protéger en appliquant les principes de sûreté en bon dirigeant qui se respecte. Il convient de ne pas l’exposer à un environnement néfaste et de ne pas le laisser s’abîmer pour éviter qu’il ne perde sa valeur ou qu’il n’aille enrichir le patrimoine d’une autre société.

Quand cela arrive, ce ne sont pas toujours les incompétents ou les moins performants qui quittent le navire. Il est toujours intéressant de comprendre pourquoi une fuite des capitaux se produit. Plusieurs raisons possibles à cela : une crise, soudaine ou rampante, une expatriation volontaire pour un nouveau paradis ou un transfert illicite (improbable en matière de capital humain sauf à ce qu’un client recrute un collaborateur du prestataire en contrevenant à la clause de « Non-sollicitation » du contrat). Dans tous les cas, l’entreprise a tout intérêt à en comprendre la cause, très probablement interne, pour mettre en place les mesures destinées à stopper le processus. Peu ont cette démarche d’amélioration.

Le départ, choisi ou contraint, de personnes à fortes compétences et dont la motivation et l’attachement à leur entreprise sont sans faille peut être causé par des managers… qui n’ont de manager que le nom. Personnages parfois recrutés ou nommés sur des erreurs de casting manifestes, notoirement connus comme incompétents dans leur profession ou comme cost-killers, qui se foutent royalement du capital humain en place ou qui n'y comprennent strictement rien, faute de s'y intéresser tout simplement.

J'ai personnellement vécu de telles situations.  

Le capital humain, et surtout sa valorisation, dépend essentiellement de la qualité du management.

Quelle est la politique pour attirer, intégrer, former et surtout conserver ce capital ?

En bon investisseur, on le fait fructifier en surveillant de près les domaines où on l’a placé et leur évolution. On veille à mettre en place les conditions pour qu’il prospère, prenne de la valeur, produise des « intérêts ». On évite de l’exposer à une organisation déstabilisante où perte de sens et démobilisation conduisent à l’échec, du collaborateur comme de l’entreprise. On ne le dilapide ou on ne s'en sépare pas, sauf s’il s’est considérablement déprécié mais dans ce cas aussi, il faut se poser la question des erreurs ayant engendré cela.

Capital humain = expérience accumulée. Pourquoi alors se séparer si facilement des salariés à forte ancienneté (« jeu » hélas habituel et malsain au sein de la sécurité privée, uniquement pour des raisons économiques) ? Pourquoi ne pas investir réellement dans des parcours de formation, notamment de l’encadrement intermédiaire, « maillon faible » de la profession ? Promouvoir le capital humain engage donc les dirigeants de la sécurité privée à faire évoluer ces pratiques et à mettre en place des politiques différentes, socialement vertueuses.

Il est nécessaire qu’ils acceptent, s'ils avancent sincèrement sur ce terrain, d'investir dans l'attractivité, le recrutement, l'intégration, la formation, la promotion, la gestion des carrières. Tous ces facteurs qui feront la différence chez les salariés et les rendront plus efficaces, motivés, engagés, fidèles. Ce qui contribuera évidemment au développement de l'entreprise, à la solidifier et à construire son image de marque (compétence – fiabilité - confiance).

Entre la communication institutionnelle des entreprises et la réalité opérationnelle, il y a très souvent un fossé.

Quand on proclame que le capital humain est le fondement de son entreprise et qu'on n'écoute pas ce qu'il a à dire, qu'on ne sait même plus comment il vit son quotidien ou qu'on ne s'en préoccupe pas, qu'on ne veille pas à son développement, il y a une incohérence majeure.

Le capital humain n'est pas seulement une question de ressources humaines, il faut le considérer comme un concept global et complexe. Admettons qu'il fasse partie du capital immatériel, on peut alors penser qu’il représente l'intelligence collective (l'addition de tous les savoirs et aptitudes individuels interagissant au sein de l'organisation à laquelle ils appartiennent). Ce "stock de compétences" doit être évalué pour être entretenu, amélioré, retenu. Quels indicateurs pertinents sont mis en place ? Il s’agit de mesurer l'efficacité des mesures prises pour bonifier ce capital. Dans la majorité des cas, ces aspects sont négligés, voire ignorés. Et ce fameux capital humain si souvent mis en avant est sacrifié par les décisions à brève échéance. Le court-termisme l’emporte, devenu l'unique fil conducteur du management. Les dirigeants, après avoir communiqué sur le capital humain, se "recentrent" sur leur cœur de métier : les marges à court-terme, la prochaine publication des résultats ou la prochaine réunion du Codir où il faudra passer en revue les KPI's … financiers ! Les indicateurs "humains", on verra plus tard… Or le capital humain ne peut se satisfaire et ne se construit pas sur ce temps court.

Quand les entretiens annuels sont bâclés ou non faits, quand les remontées des collaborateurs ne sont pas prises en compte, quand les bilans de compétence sont un mystère ésotérique ou une fantaisie indigne d'intérêt, quand l'attractivité n'est pas mesurée (et encore moins développée), quand la marque employeur est un slogan vide, quand les compétences et l'expérience des collaborateurs ne sont pas considérées, que leur savoir-faire n'est pas apprécié, quand le statut l'emporte sur l'expertise, alors il est inutile de communiquer sur le capital humain. Il faut d'abord comprendre ces concepts, se les approprier et les appliquer.

Pour mettre en valeur le capital humain il convient d’intégrer les facteurs tels que motivation, implication, besoin de reconnaissance, fidélité et loyauté à l’entreprise.

Il faut s’attacher à l’humain avant de se préoccuper du capital.

Gérard GROS